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l’île à hélice.

Par bonheur pour l’Américain, il s’est mis à l’abri de ce premier coup de boutoir. Profitant de la surprise, disons de l’hébètement dans lequel est tombé le quatuor, il quitte la plate-forme de la tour, prend l’ascenseur, et il est, pour le moment, hors de portée des récriminations et des vivacités des quatre Parisiens.

« Quel gueux ! s’écrie le violoncelle.

— Quel animal ! s’écrie l’alto.

— Hé ! hé !… si, grâce à lui, nous sommes témoins de merveilles… dit simplement le violon solo.

— Vas-tu donc l’excuser ? répond le second violon.

— Pas d’excuse, réplique Pinchinat, et s’il y a une justice à Standard-Island, nous le ferons condamner, ce mystificateur de Yankee !

— Et s’il y a un bourreau, hurle Sébastien Zorn, nous le ferons pendre ! »

Or, pour obtenir ces divers résultats, il faut d’abord redescendre au niveau des habitants de Milliard-City, la police ne fonctionnant pas à cent cinquante pieds dans les airs. Et cela sera fait en peu d’instants, si la descente est possible. Mais la cage de l’ascenseur n’a point remonté, et il n’y a rien qui ressemble à un escalier. Au sommet de cette tour, le quatuor se trouve donc sans communication avec le reste de l’humanité.

Après leur premier épanchement de dépit et de colère, Sébastien Zorn, Pinchinat, Frascolin, abandonnant Yvernès à ses admirations, sont demeurés silencieux et finissent par rester immobiles. Au-dessus d’eux, l’étamine du pavillon se déploie le long de la hampe. Sébastien Zorn éprouve une envie féroce d’en couper la drisse, de l’abaisser comme le pavillon d’un bâtiment qui amène ses couleurs. Mais mieux vaut ne point s’attirer quelque mauvaise affaire, et ses camarades le retiennent au moment où sa main brandit un bowie-knife bien affilé.

« Ne nous mettons pas dans notre tort, fait observer le sage Frascolin.

— Alors… tu acceptes la situation ?… demande Pinchinat.