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l’île à hélice.

— S’il ne sonne que midi, réplique Frascolin en consultant sa montre, j’affirme qu’il retarde…

— Non, monsieur l’alto, non ! Le soleil ne retarde pas plus ici qu’ailleurs ! »

Et un singulier sourire relève les lèvres de l’Américain, ses yeux pétillent sous le binocle, et il se frotte les mains. On serait tenté de croire qu’il se félicite d’avoir « fait une bonne farce ».

Frascolin, moins émerillonné que ses camarades par la bonne chère, le regarde d’un œil soupçonneux, sans trop savoir qu’imaginer.

« Allons, mes amis — vous me permettrez de vous donner cette sympathique qualification, ajoute-t-il de son air le plus aimable, — il s’agit de visiter la seconde section de la ville, et je mourrais de désespoir si un seul détail vous échappait ! Nous n’avons pas de temps à perdre…

— À quelle heure part le train pour San-Diégo ?… interroge Sébastien Zorn, toujours préoccupé de ne point manquer à ses engagements par suite d’arrivée tardive.

— Oui… à quelle heure ?… répète Frascolin en insistant.

— Oh !… dans la soirée, répond Calistus Munbar en clignant de l’œil gauche. Venez, mes hôtes, venez… Vous ne vous repentirez pas de m’avoir pris pour guide ! »

Comment désobéir à un personnage si obligeant ? Les quatre artistes quittent la salle d’Excelsior-Hotel, et déambulent le long de la chaussée. En vérité, il faut que le vin les ait trop généreusement abreuvés, car une sorte de frémissement leur court dans les jambes. Il semble que le sol ait une légère tendance à se dérober sous leurs pas. Et pourtant, ils n’ont point pris place sur un de ces trottoirs mobiles qui se déplacent latéralement.

« Hé ! hé !… soutenons-nous, Chatillon ! s’écrie Son Altesse titubant.

— Je crois que nous avons un peu bu ! réplique Yvernès, qui s’essuie le front.