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un loquace cicerone.

— Et les armateurs ?… demande Frascolin.

— Pas davantage.

— Des rentiers alors ?… réplique Sébastien Zorn.

— Rien que des rentiers et des marchands en train de se faire des rentes.

— Eh bien… et les ouvriers ?… observe Yvernès.

— Lorsqu’on a besoin d’ouvriers, on les amène du dehors, messieurs, et lorsque le travail est terminé ils s’en retournent… avec la forte somme !…

— Voyons, monsieur Munbar, dit Frascolin, vous avez bien quelques pauvres dans votre ville, ne fût-ce que pour ne pas en laisser éteindre la race ?…

— Des pauvres, monsieur le deuxième violon ?… Vous n’en rencontrerez pas un seul !

— Alors la mendicité est interdite ?…

— Il n’y a jamais eu lieu de l’interdire, puisque la ville n’est pas accessible aux mendiants. C’est bon cela pour les cités de l’Union, avec leurs dépôts, leurs asiles, leurs work-houses… et les maisons de correction qui les complètent…

— Allez-vous affirmer que vous n’avez pas de prisons ?…

— Pas plus que nous n’avons de prisonniers.

— Mais les criminels ?…

— Ils sont priés de rester dans l’ancien et le nouveau continent, où leur vocation trouve à s’exercer dans des conditions plus avantageuses.

— Eh ! vraiment, monsieur Munbar, dit Sébastien Zorn, on croirait, à vous entendre, que nous ne sommes plus en Amérique ?

— Vous y étiez hier, monsieur le violoncelliste, répond cet étonnant cicerone.

— Hier ?… réplique Frascolin, qui se demande ce que peut exprimer cette phrase étrange.

— Sans doute !… Aujourd’hui vous êtes dans une ville indépendante, une cité libre, sur laquelle l’Union n’a aucun droit, qui ne relève que d’elle-même…