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un loquace cicérone.

loques qui tintinnabulent au centre. Cette orfèvrerie se complète par un chapelet de bagues dont sont ornées les mains grasses et rosées. La chemise est d’une blancheur immaculée, raide et brillante d’empois, constellée de trois diamants, surmontée d’un col largement rabattu, sous le pli duquel s’enroule une imperceptible cravate, simple galon mordoré. Le pantalon, d’étoffe rayée, à vastes plis, retombe en se rétrécissant sur des bottines lacées avec agrafes d’aluminium.

Quant à la physionomie de ce Yankee, elle est au plus haut point expressive, toute en dehors, — la physionomie des gens qui ne doutent de rien, et « qui en ont vu bien d’autres », comme on dit. Cet homme est un débrouillard, à coup sûr, et c’est aussi un énergique, ce qui se reconnaît à la tonacité de ses muscles, à la contraction apparente de son sourciller et de son masseter. Enfin, il rit volontiers avec éclat, mais son rire est plutôt nasal qu’oral, une sorte de ricanement, le hennitus indiqué par les physiologistes.

Tel est ce Calistus Munbar. À l’entrée du Quatuor, il a soulevé son large chapeau que ne déparerait pas une plume Louis XIII, il serre la main des quatre artistes. Il les conduit devant une table où bouillonne la théière, où fument les rôties traditionnelles. Il parle tout le temps, ne laissant pas place à une seule question, — peut-être pour esquiver une réponse, — vantant les splendeurs de sa ville, l’extraordinaire création de cette cité, monologuant sans interruption, et, lorsque le déjeuner est achevé, terminant son monologue par ces mots :

« Venez, messieurs, et veuillez me suivre. Mais une recommandation…

— Laquelle ? demande Frascolin.

— Il est expressément défendu de cracher dans nos rues…

— Nous n’avons pas l’habitude… proteste Yvernès.

— Bon !… cela vous épargnera des amendes !

— Ne pas cracher… en Amérique ! » murmure Pinchinat d’un ton où la surprise se mêle à l’incrédulité.

Il eût été difficile de se procurer un guide doublé d’un cicerone