Page:Verne - L'Île à hélice, Hetzel, 1895.djvu/433

Cette page a été validée par deux contributeurs.
396
l’île à hélice.

Fidji, existent certains courants dus au resserrement des deux archipels, et qui se propagent vers le sud-est. Tant que ses machines ont fonctionné en parfait accord, Standard-Island a pu sans peine refouler ces courants. Mais, à partir du moment où elle a été prise de vertige, elle a été irrésistiblement entraînée vers le tropique du Capricorne.

Ce fait reconnu, le commodore Simcoë ne cache point à tous ces braves gens que nous avons compris sous le nom de neutres, la gravité des circonstances. Et voici ce qu’il leur dit :

« Nous avons été entraînés de cinq degrés vers le sud. Or, ce qu’un marin peut faire à bord d’un steamer désemparé de sa machine, je ne puis le faire à bord de Standard-Island. Notre île n’a pas de voilure, qui permettrait d’utiliser le vent, et nous sommes à la merci des courants. Où nous pousseront-ils ? je ne sais. Quant aux steamers, partis de la baie Madeleine, ils nous chercheront en vain sur les parages convenus, et c’est vers la portion la moins fréquentée du Pacifique que nous dérivons avec une vitesse de huit ou dix milles à l’heure ! »

En ces quelques phrases, Ethel Simcoë vient d’établir la situation qu’il est impuissant à modifier. L’île à hélice est comme une immense épave, livrée aux caprices des courants. S’ils portent vers le nord, elle remontera vers le nord. S’ils portent vers le sud, elle descendra vers le sud, — peut-être jusqu’aux extrêmes limites de la mer Antarctique. Et alors…

Cet état de choses ne tarde pas à être connu de la population, à Milliard-City comme dans les deux ports. Le sentiment d’un extrême danger est nettement perçu. De là, — ce qui est très humain, — un certain apaisement des esprits sous la crainte de ce nouveau péril. On ne songe plus à en venir aux mains dans une lutte fratricide, et, si les haines persistent, du moins ne se traduiront-elles pas par des violences. Peu à peu, chacun rentre dans sa section, dans son quartier, dans sa maison. Jem Tankerdon et Nat Coverley renoncent à se disputer le premier rang. Aussi, sur la proposition même des deux gouverneurs, le conseil des notables prend-il le seul