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changement de propriétaires.

— Pourquoi non, Yvernès ? dit Frascolin. Si tu veux te charger de faire rimer flamme avec âme et jours avec amours pendant une douzaine de vers de longueur inégale, Sébastien Zorn, qui a fait ses preuves comme compositeur, ne demandera pas mieux que de mettre ta poésie en musique…

— Excellente idée ! s’exclame Pinchinat. Ça te va-t-il, vieux bougon bougonnant ?… Quelque chose de bien matrimonial, avec beaucoup de spiccatos, d’allegros, de molto agitatos, et une coda délirante… à cinq dollars la note…

— Non… pour rien… cette fois… répond Frascolin. Ce sera l’obole du Quatuor Concertant à ces nababissimes de Standard-Island. »

C’est décidé, et le violoncelliste se déclare prêt à implorer les inspirations du dieu de la Musique, si le dieu de la Poésie verse les siennes dans le cœur d’Yvernès.

Et c’est de cette noble collaboration qu’allait sortir la Cantate des Cantates, à l’imitation du Cantique des Cantiques, en l’honneur des Tankerdon unis aux Coverley.

Dans l’après-midi du 10, le bruit se répand qu’un grand steamer est en vue, venant du nord-est. Sa nationalité n’a pu être reconnue, car il est encore distant d’une dizaine de milles, au moment où les brumes du crépuscule ont assombri la mer.

Ce steamer semblait forcer de vapeur, et on doit tenir pour certain qu’il se dirige vers Standard-Island. Très vraisemblablement, il ne veut accoster que le lendemain au lever du soleil.

La nouvelle produit un indescriptible effet. Toutes les imaginations féminines sont en émoi à la pensée des merveilles de bijouterie, de couture, de modes, d’objets d’art, apportées par ce navire transformé en une énorme corbeille de mariage… de la force de cinq à six cents chevaux !

On ne s’est pas trompé, et ce navire est bien à destination de Standard-Island. Aussi, dès le matin, a-t-il doublé la jetée de Tribord-Harbour, développant à sa corne le pavillon de la Standard-Island Company.