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un casus belli.

« Peuh ! fait observer Pinchinat, vos requins, ce ne sont même plus des cannibales d’eau salée !… Les missionnaires anglais ont dû les convertir au christianisme comme ils ont converti les Fidgiens !… Gageons que ces bêtes-là ont perdu le goût de la chair humaine…

— Ne vous y fiez pas, répond le pilote, — pas plus qu’il ne faut se fier aux Fidgiens de l’intérieur. »

Pinchinat se contente de hausser les épaules. On la lui baille belle avec ces prétendus anthropophages qui n’« anthropophagent » même plus les jours de fête !

Quant au pilote, il connaît parfaitement la baie et le cours de la Rewa. Sur cette importante rivière, appelée aussi Waï-Levou, le flot se fait sentir jusqu’à une distance de quarante-cinq kilomètres, et les barques peuvent la remonter pendant quatre-vingts.

La largeur de la Rewa dépasse cent toises à son embouchure. Elle coule entre des rives sablonneuses, basses à gauche, escarpées à droite, dont les bananiers et les cocotiers se détachent avec vigueur sur un large fond de verdure. Son nom est Rewa-Rewa, conforme à ce redoublement du mot, qui est presque général parmi les peuplades du Pacifique. Et, ainsi que le remarque Yvernès, n’est-ce pas là une imitation de cette prononciation enfantine qu’on retrouve dans les papa, maman, toutou, dada, bonbon, etc. Et, au fait, c’est à peine si ces indigènes sont sortis de l’enfance !

La véritable Rewa est formée par le confluent du Waï-Levou (eau grande) et du Waï-Manu, et sa principale embouchure est désignée sous le nom de Waï-Ni-ki.

Après le détour du delta, la chaloupe file devant le village de Kamba, à demi caché dans sa corbeille de fleurs. On ne s’y arrête point, afin de ne rien perdre du flux, ni au village de Naitasiri. D’ailleurs, à cette époque, ce village venait d’être déclaré « tabou », avec ses maisons, ses arbres, ses habitants, et jusqu’aux eaux de la Rewa qui en baignent la grève. Les indigènes n’eussent permis à personne d’y prendre pied. C’est une coutume sinon très respectable, du moins