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le quatuor concertant.

— Partons-nous ?… s’écrie le violoncelliste, qui vient de redresser l’étui de son instrument.

— À l’instant, réplique Pinchinat. Auparavant, un coup de main pour déposer notre conducteur le long du talus… »

En effet, il convient de le tirer hors de la route, et, comme il ne peut se servir de ses jambes fort endommagées, Pinchinat et Frascolin le soulèvent, le transportent, l’adossent contre les racines d’un gros arbre dont les basses branches forment en retombant un berceau de verdure.

« Partons-nous ?… hurle Sébastien Zorn une troisième fois, après avoir assujetti l’étui sur son dos, au moyen d’une double courroie disposée ad hoc.

— Voilà qui est fait, » dit Frascolin.

Puis, s’adressant à l’homme :

« Ainsi, c’est bien entendu… l’aubergiste de Freschal vous enverra du secours… Jusque là, vous n’avez besoin de rien, n’est-ce pas, mon ami ?…

— Si… répond le conducteur, d’un bon coup de gin, s’il en reste dans vos gourdes. »

La gourde de Pinchinat est encore pleine, et Son Altesse en fait volontiers le sacrifice.

« Avec cela, mon bonhomme, dit-il, vous n’aurez pas froid cette nuit… à l’intérieur ! »

Une dernière objurgation du violoncelliste décide ses compagnons à se mettre en route. Il est heureux que leurs bagages soient dans le fourgon du train, au lieu d’avoir été chargés sur le coach. S’ils arrivent à San-Diégo avec quelque retard, du moins nos musiciens n’auront pas la peine de les transporter jusqu’au village de Freschal. C’est assez des boîtes à violon, et, surtout, c’est trop de l’étui à violoncelle. Il est vrai, un instrumentiste, digne de ce nom, ne se sépare jamais de son instrument, — pas plus qu’un soldat de ses armes ou un limaçon de sa coquille.