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le quatuor concertant.

colin, Yvernès et lui ont pris philosophiquement leur parti de l’aventure, si elle leur a même inspiré quelques plaisanteries de métier, on admettra que ce soit pour le chef du quatuor l’occasion de se livrer à un accès de colère. Que voulez-vous ? Le violoncelliste a le foie chaud, et, comme on dit, du sang sous les ongles. Aussi Yvernès prétend-il qu’il descend de la lignée des Ajax et des Achille, ces deux illustres rageurs de l’antiquité.

Pour ne point l’oublier, mentionnons que si Sébastien Zorn est bilieux, Yvernès flegmatique, Frascolin paisible, Pinchinat d’une surabondante jovialité, — tous, excellents camarades, éprouvent les uns pour les autres une amitié de frères. Ils se sentent réunis par un lien que nulle discussion d’intérêt ou d’amour-propre n’aurait pu rompre, par une communauté de goûts puisés à la même source. Leurs cœurs, comme ces instruments de bonne fabrication, tiennent toujours l’accord.

Tandis que Sébastien Zorn peste, en palpant l’étui de son violoncelle pour s’assurer qu’il est sain et sauf, Frascolin s’approche du conducteur :

« Eh bien, mon ami, lui demande-t-il, qu’allons-nous faire, s’il vous plaît ?

— Ce que l’on fait, répond l’homme, quand on n’a plus ni chevaux ni voiture… attendre…

— Attendre qu’il en vienne ! s’écrie Pinchinat. Et s’il n’en doit pas venir…

— On en cherche, observe Frascolin, que son esprit pratique n’abandonne jamais.

— Où ?… rugit Sébastien Zorn, qui se démenait fiévreusement sur la route.

— Où il y en a ! réplique le conducteur.

— Hé ! dites donc, l’homme au coach, reprend le violoncelliste d’une voix qui monte peu à peu vers les hauts registres, est-ce que c’est répondre, cela ! Comment… voilà un maladroit qui nous verse, brise sa voiture, estropie son attelage, et il se contente de dire : « Tirez-vous de là comme vous pourrez !… »