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ayant parcouru l’Amérique et l’Europe, voyageant quelquefois, mais toujours rappelé par ses habitudes et ses goûts à l’existence attrayante de Standard-Island, il est familier avec les exercices de sport, à la tête de toute la jeunesse milliardaise dans les concours de tennis, de polo, de golf et de crocket. Il n’est pas autrement fier de la fortune qu’il aura un jour, et son cœur est bon. Il est vrai, faute de misérables dans l’île, il n’a point l’occasion d’exercer la charité. En somme, il est à désirer que ses frères et sœurs lui ressemblent. Si ceux-là et celles-là ne sont point encore en âge de se marier, lui, qui touche à la trentaine, doit songer au mariage. Y pense-t-il ?… On le verra bien.

Il existe un contraste frappant entre la famille Tankerdon, la plus importante de la section bâbordaise, et la famille Coverley, la plus considérable de la section tribordaise. Nat Coverley est d’une nature plus fine que son rival. Il se ressent de l’origine française de ses ancêtres. Sa fortune n’est point sortie des entrailles du sol sous forme de nappes pétroliques, ni des entrailles fumantes de la race porcine. Non ! Ce sont les affaires industrielles, ce sont les chemins de fer, c’est la banque qui l’ont fait ce qu’il est. Pour lui, il ne songe qu’à jouir en paix de ses richesses et — il ne s’en cache pas, — il s’opposerait à toute tentative de transformer le Joyau du Pacifique en une énorme usine ou une immense maison de commerce. Grand, correct, la tête belle sous ses cheveux grisonnants, il porte toute sa barbe, dont le châtain se mêle de quelques fils argentés. D’un caractère assez froid, de manières distinguées, il occupe le premier rang parmi les notables qui conservent, à Milliard-City, les traditions de la haute société des États-Unis du Sud. Il aime les arts, se connaît en peinture et en musique, parle volontiers la langue française très en usage parmi les Tribordais, se tient au courant de la littérature américaine et européenne, et, quand il y a lieu, mélange ses applaudissements de bravos et de bravas, alors que les rudes types du Far-West et de la Nouvelle-Angleterre se dépensent en hurrahs et en hips.