Page:Verne - Kéraban-le-Têtu, Hetzel, 1883, tome 1.djvu/225

Cette page a été validée par deux contributeurs.

215
KÉRABAN-LE-TÊTU.

— Je ne suis pas du pays.

— À peu près, puisque vous êtes turc ! répondit Bruno. Eh bien, mon camarade, goûtez un peu à cette semelle desséchée, et vous me direz ce qu’il faut en penser ! »

Et Nizib, toujours docile, mordit à belles dents dans le morceau de ladite semelle.

« Eh bien ?… demanda Bruno.

— Eh bien, ça n’est pas bon, certes ! mais ça se laisse manger tout de même !

— Oui, Nizib, quand on meurt de faim et qu’on n’a pas autre chose à se mettre sous la dent ! »

Et Bruno y goûta à son tour, en homme décidé, pour ne pas maigrir, à risquer le tout pour le tout.

En somme, cela pouvait passer, en l’aidant de quelques verres d’une sorte de bière alcoolisée, — ce que firent les deux convives.

Mais, soudain, Nizib de s’écrier :

« Eh ! Allah me vienne en aide !

— Qu’est-ce qui vous prend, Nizib ?

— Si ce que j’ai mangé là était du porc ?…

— Du porc ! répliqua Bruno. Ah ! c’est juste, Nizib ! Un bon musulman comme vous ne peut se nourrir de cet excellent mais immonde animal ! Eh bien ! il me semble que, si ce mets inconnu est