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L’ÉTERNEL ADAM.

blables : les enfants pullulent, et, d’autre part, sous ce climat sain, dans ce pays où les animaux féroces sont inconnus, grande est la longévité. Notre colonie a triplé d’importance.

Par contre, je suis tenté de répondre non ! si je considère la profonde déchéance intellectuelle de mes compagnons de misère.

Notre petit groupe de naufragés était pourtant dans des conditions favorables pour tirer parti du savoir humain : il comprenait un homme particulièrement énergique, — le capitaine Morris, aujourd’hui décédé, — deux hommes plus cultivés qu’on ne l’est d’ordinaire, — mon fils et moi, — et deux savants véritables, — le docteur Bathurst et le docteur Moreno. — Avec de pareils éléments, on aurait pu faire quelque chose. On n’a rien fait. La conservation de notre vie matérielle a été, depuis l’origine, elle est encore notre unique souci. Comme au début, nous employons notre temps à chercher notre nourriture et, le soir, nous tombons, épuisés, dans un lourd sommeil.

Il est, hélas ! trop certain que l’humanité, dont nous sommes les seuls représentants, est en voie de régression rapide et tend à se rapprocher de la brute. Chez les matelots de la Virginia, gens déjà incultes autrefois, les caractères de l’animalité se sont marqués davantage ; mon fils et moi, nous avons oublié ce que nous savions ; le docteur Bathurst et le docteur Moreno eux-mêmes ont laissé leur cerveau en friche. On peut dire que notre vie cérébrale est abolie.