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L’ÉTERNEL ADAM.

frange d’écume, c’est en vain que Simonat ouvrit les gaz en grand : cette distance ne s’accrut pas. Sans doute, le poids des douze personnes ralentissait l’allure de la voiture. Quoi qu’il en fût, cette allure était tout juste égale à celle de l’eau envahissante qui restait invariablement à la même distance.

Cette inquiétante situation fut bientôt connue, et tous, sauf Simonat, appliqué à diriger sa voiture, nous nous retournâmes vers le chemin que nous laissions en arrière. On n’y voyait plus rien que de l’eau. À mesure que nous l’avions conquise, la route disparaissait sous la mer qui la conquérait à son tour. Celle-ci s’était calmée. À peine si quelques rides venaient doucement mourir sur une grève toujours nouvelle. C’était un lac paisible qui gonflait, gonflait toujours, d’un mouvement uniforme, et rien n’était tragique comme la poursuite de cette eau calme. En vain nous fuyions devant elle, l’eau montait, implacable, avec nous…

Simonat, qui tenait les yeux fixés sur la route, dit, à un tournant :

« Nous voici à moitié de la pente. Encore une heure de montée. »

Nous frissonnâmes : eh quoi ! dans une heure, nous allions atteindre le sommet, et il nous faudrait redescendre, chassés, rejoints alors, quelle que fût notre vitesse, par les masses liquides qui s’écrouleraient en avalanche à notre suite !…

L’heure s’écoula sans que rien fût changé