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LA DESTINÉE DE JEAN MORÉNAS.

appelé Pierre, avait crié son amour. Elle l’exprimait encore maintenant par son attitude, debout, étreignant ses enfants dans ses bras, obstruant l’escalier de son corps, comme si elle eût voulu défendre l’accès du foyer contre un péril inconnu mais pressenti.

Dès lors, à quoi bon ?… La vengeance lui rendrait-elle un impossible bonheur ? Cela le sauverait-il du désespoir d’y plonger Marguerite à son tour. N’y avait-il pas mieux à faire : laisser à celle qu’il adorait l’illusion de sa vie heureuse et conserver pour lui la douleur, toute la douleur, dont il avait, hélas ! une si longue habitude ? À quoi sa triste destinée pourrait-elle être mieux employée ? Il n’était plus, ne pouvait plus être jamais rien. La route était barrée devant lui et rien n’existait plus qu’il lui fût permis d’espérer. Quel meilleur emploi de son être inutile que de le donner pour le salut d’un autre, d’un autre être qui déjà possédait son cœur, dont la vie serait sa vie, dont le bonheur serait le sien ?…

Cependant, on s’acharnait au dehors. La porte forcée s’ouvrit. Quatre ou cinq hommes entrèrent, coururent à la victime, dont ils soulevèrent le visage.

Bou Diou ! s’écria l’un d’eux. C’est Me Cliquet !

— Le notaire ! s’exclama un autre.

Ils s’empressèrent. Me Cliquet fut étendu