Page:Verne - Famille-sans-nom, Hetzel, 1889.djvu/72

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

repos, si son patriotisme, toujours ardent, ne l’eût jeté dans les agitations de la politique militante.

À l’époque où commence cette histoire, M. de Vaudreuil avait quarante-sept ans. Ses cheveux grisonnants le faisaient paraître un peu plus âgé peut-être ; mais son regard vif, ses yeux bleu-foncé d’un grand éclat, sa taille au-dessus de la moyenne, sa robuste constitution, qui lui assurait une santé à toute épreuve, sa physionomie sympathique et prévenante, son allure un peu fière sans être hautaine, en faisaient le type par excellence du gentilhomme français. C’était le véritable descendant de cette audacieuse noblesse qui traversa l’Atlantique au xviiie siècle, le fils de ces fondateurs de la plus belle des colonies d’outre-mer, que l’odieuse indifférence de Louis XV avait abandonnée aux exigences de la Grande-Bretagne.

M. de Vaudreuil était veuf depuis une dizaine d’années. La mort de sa femme, qu’il aimait d’une affection profonde, laissa un irréparable vide dans son existence. Toute sa vie se reporta dès lors sur sa fille unique, en laquelle revivait l’âme vaillante et généreuse de sa mère.

À cette époque, Clary de Vaudreuil avait vingt ans. Sa taille élégante, son épaisse chevelure presque noire, ses grands yeux ardents, son teint chaud sous sa pâleur, son air un peu grave la rendaient peut-être plus belle que jolie, plus imposante qu’attirante, comme certaines héroïnes de Fenimore Cooper. Le plus habituellement, elle se tenait dans une froide réserve, ou, pour mieux dire, son existence entière se concentrait sur le seul amour qu’elle eût ressenti jusqu’alors, — l’amour de son pays.

En effet, Clary de Vaudreuil était une patriote. Pendant la période des mouvements qui se produisirent en 1832 et en 1834, elle suivit de près les diverses phases de l’insurrection. Les chefs de l’opposition la regardaient comme la plus vaillante de ces nombreuses jeunes filles, dont le dévouement était acquis à la cause nationale. Aussi, lorsque les amis politiques de M. de Vaudreuil se réunissaient à la villa Montcalm, Clary prenait-elle part à leurs conférences, ne