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droite, la plupart préférèrent demeurer dans les cabines du bateau à vapeur.

Il était alors huit heures du soir.

Jean, étendu sur le pont, respirait encore. Clary, agenouillée, soutenant sa tête, lui parlait… Il ne répondait pas… Peut-être ne l’entendait-il plus ?

Clary regarda autour d’elle. Où chercher des secours, dans ce désarroi, au milieu de ce village empli de tant de fugitifs, encombré de tant de blessés, auxquels les médecins manquaient comme les remèdes ?

Alors Clary vit toute sa vie repasser dans son souvenir. Son père tué pour la cause nationale !… Celui qu’elle aimait mourant entre ses bras, après avoir lutté jusqu’à la dernière heure. Maintenant, elle était seule au monde, sans famille, sans patrie, désespérée…

Après avoir abrité Jean sous une toile de capot, afin de le protéger contre les rigueurs du froid, Clary, penchée sur lui, cherchait si son cœur ne battait pas faiblement, si un souffle ne s’exhalait pas de ses lèvres…

Au loin, de l’autre côté de la rivière, éclataient encore les derniers coups de feu, dont les vives lueurs fusaient entre les arbres de l’île Navy.

Tout se tut enfin, et la vallée niagarienne s’endormit dans un morne silence.

Inconsciemment, la jeune fille murmurait le nom de son père, et aussi celui de Jean, se disant que, suprême angoisse ! le jeune patriote mourait peut-être avec cette pensée qu’il serait poursuivi au delà du tombeau par la malédiction des hommes ! Et elle priait pour l’un et pour l’autre.

Soudain, Jean tressaillit, son cœur battit un peu plus vite. Clary l’appela…

Jean ne répondit pas.

Deux heures s’écoulèrent. Tout reposait à bord de la Caroline.