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Alors il ne resterait plus rien — pas même le souvenir — de ce qui avait été la famille Morgaz !

Lorsque le trou fut assez profond pour qu’un cadavre n’eût rien à craindre de la griffe des fauves, Jean revint à la cabane, il prit le corps de Bridget entre ses bras, il l’emporta sous les arbres, il mit un dernier baiser sur le front de la morte, il la déposa au fond de la tombe, enveloppée dans son manteau en étoffe du pays, il la recouvrit de terre. Alors, s’agenouillant, il pria, et ses derniers mots furent ceux-ci :

« Repose en paix, pauvre mère ! »

La neige, qui commençait à tomber, eut bientôt caché l’endroit où dormait celle qui n’était plus, qui n’aurait jamais dû être !

Et malgré tout, lorsque les soldats de Mac Nab tenteraient de débarquer sur l’île Navy, Jean serait au premier rang des patriotes pour y chercher la mort.

Il ne devait pas longtemps attendre.

En effet, le lendemain, 19 décembre, dès les premières heures de la matinée, il fut manifeste que le colonel Mac Nab préparait une attaque directe. De grands bateaux plats étaient rangés le long de la berge, au-dessous du camp de Chippewa. Faute d’artillerie, les bonnets bleus n’auraient aucun moyen de détruire ces bateaux avant qu’ils se fussent mis en marche, ni de les arrêter, lorsqu’ils tenteraient le passage. Leur unique ressource serait de s’opposer à un débarquement par la force, en se concentrant sur les endroits menacés. Mais quelle résistance pourraient opposer quelques centaines d’hommes contre la masse des assaillants, s’ils accostaient l’île sur plusieurs points à la fois ? Ainsi, dès que les royaux auraient pris pied, l’envahissement du camp suivrait de près, et ses défenseurs, trop nombreux pour trouver place dans les quelques embarcations de Schlosser, seraient massacrés avant d’avoir pu se réfugier sur la terre américaine.

C’est de ces éventualités dont s’inquiétaient surtout M. de Vaudreuil et ses amis. Ils comprenaient les dangers d’une telle situa-