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instants, croyant que votre fils n’était plus, je jurais de rester fidèle à la mémoire de celui auquel j’aurais voulu vouer ma vie !… Jean, je vous aime !… Voulez-vous de moi ?… »

Jean, pâle d’émotion, faillit tomber aux pieds de cette noble fille.

« Clary, dit-il, vous venez de me donner la seule joie que j’aie ressentie depuis que je traîne cette existence maudite ! Mais, vous l’avez vu, rien n’a pu diminuer l’horreur que notre nom inspire, et cette horreur, je ne vous la ferai jamais partager !

— Non ! ajouta Bridget, Clary de Vaudreuil ne peut devenir la femme d’un Morgaz !

— Viens, ma mère, dit Jean, viens ! »

Et, entraînant Bridget, il la déposa dans l’embarcation qui s’éloigna, tandis que le nom du traître retentissait encore au milieu de clameurs.


Le lendemain, au fond d’une hutte isolée, en dehors du village de Schlosser, où il avait transporté sa mère, Jean, agenouillé près d’elle, recevait ses dernières paroles.

Personne ne savait que cette hutte renfermait la femme et le fils de Simon Morgaz. D’ailleurs, ce ne serait pas pour longtemps. Bridget se mourait. Dans quelques heures allait finir cette existence où s’étaient accumulées toutes les souffrances, toutes les misères, qui peuvent accabler une créature humaine.

Lorsque sa mère ne serait plus, quand il lui aurait fermé les yeux, lorsqu’il aurait vu la terre recouvrir son misérable corps, Jean était résolu à fuir ce pays qui le repoussait. Il disparaîtrait, on n’entendrait plus parler de lui, — pas même après que la mort serait venue le délivrer à son tour.

Mais les dernières recommandations de sa mère allaient le faire revenir sur ce projet d’abandonner cette tâche qu’il s’était donnée de réparer le crime de son père.

Et voici ce que lui dit Bridget, d’une voix dans laquelle passa son dernier souffle :