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au premier rang des patriotes dans toutes les insurrections. Celui-ci est devant vous. Celui-là, l’aîné, c’était l’abbé Joann, qui a pris ma place dans la prison de Frontenac, qui est tombé sous les balles des exécuteurs…

— Joann !… Joann… mort ! s’écria Bridget.

— Oui, ma mère, mort comme tu nous as fait jurer de mourir — mort pour son pays ! »

Bridget s’était agenouillée près de Clary de Vaudreuil, qui, l’entourant de ses bras, mêlait ses larmes aux siennes.

De la foule, impressionnée par cette émouvante scène, il ne se dégageait plus qu’un sourd murmure, où l’on sentait frémir cependant son insurmontable horreur pour le nom de Morgaz.

Jean reprit d’une voix plus animée :

« Voici ce que nous avons fait, non dans le but de réhabiliter un nom qui est à jamais flétri, un nom que le hasard vous a fait connaître et que nous espérions ensevelir dans l’oubli avec notre famille maudite ! Dieu ne l’a pas voulu ! Et, après que je vous ai tout dit, répondrez-vous encore par des paroles de mépris ou des cris de haine ? »

Oui ! Telle était l’horreur provoquée par le souvenir du traître que l’un des plus forcenés osa répondre :

« Jamais nous ne souffrirons que la femme et le fils de Simon Morgaz souillent de leur présence le camp des patriotes !

— Non !… Non !… répondirent les autres, dont la colère reprit le dessus.

— Misérables ! » s’écria Clary.

Bridget s’était relevée.

« Mon fils, dit-elle, pardonne !… Nous n’avons pas le droit de ne pas pardonner !

— Pardonner ! s’écria Jean, dans l’exaltation qui suscitait tout son être contre cette injustice. Pardonner à ceux qui nous rendent responsables d’un crime qui n’est pas le nôtre, et malgré ce que nous avons pu faire pour le racheter ! Pardonner à ceux qui poursui-