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Certes, que de pareils sentiments se fussent manifestés à l’égard de cette malheureuse femme, que l’on fit remonter jusqu’à elle la responsabilité des trahisons de Simon Morgaz, c’était d’une révoltante injustice. Cela ne pouvait se comprendre que de la part d’une foule qui, toute à son premier mouvement, ne réfléchissait plus. Mais que la présence de Jean-Sans-Nom ne l’eût pas arrêtée dans son affolement, après ce que l’on savait de lui, cela passait toutes limites.

L’indignation que Jean éprouva de cet acte abominable fut telle que, pâle de colère, et non plus rouge de honte, il s’écria d’une voix qui domina tout le tumulte :

« Oui ! je suis Jean Morgaz, et voici Bridget Morgaz !… Frappez-nous donc !… Nous ne voulons pas plus de votre pitié que de votre mépris !… Mais, toi, ma mère, relève la tête, et pardonne à ceux qui t’outragent, toi, la plus respectable des femmes ! »

Devant cette attitude, les bras s’étaient abaissés. Et, pourtant, les bouches vociféraient encore :

« Hors d’ici, la famille du traître !… Hors d’ici, les Morgaz ! »

Et la foule serra de plus près les victimes de son odieux emportement pour les expulser de l’île.

Clary se jeta au-devant.

« Malheureux, vous l’écouterez, avant de chasser sa mère et lui ! » s’écria-t-elle.

Et, surpris par l’énergique protestation de la jeune fille, tous s’arrêtèrent.

Alors, Jean, d’une voix où le dédain se mêlait à l’indignation :

« Tout ce que l’infamie de son nom a fait souffrir à ma mère, dit-il, il est inutile que j’y insiste. Mais, ce qu’elle a fait pour racheter cette infamie, il faut que vous le sachiez. Ses deux fils, elle les a élevés dans l’idée du sacrifice et du renoncement à tout bonheur sur terre. Leur père avait livré la patrie canadienne : ils ne vécurent plus que pour lui rendre son indépendance. Après avoir renié un nom qui leur faisait horreur, l’un alla à travers les comtés, de paroisses en paroisses susciter des partisans à la cause nationale, tandis que l’autre se jetait