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Sans se rendre compte de sa marche machinale, Bridget était arrivée à la pointe en amont de l’île. Là, après une halte de quelques instants, elle se préparait à revenir, lorsque son œil fut frappé par une lueur qui s’agitait au pied de la berge.

Surprise et inquiète, Bridget s’avança jusqu’aux roches qui dominent le Niagara en cet endroit.

Là, un homme balançait un fanal, dont la lumière devait aisément être vue de la rive de Chippewa. Et, en effet, une lueur, partie du camp, lui répondit presque aussitôt.

Bridget ne put retenir un cri, en voyant cet échange de signaux suspects.

D’un bond, cet homme, mis en éveil par le cri de Bridget, eut gravi les roches, et, se trouvant en face de cette femme, il lui porta vivement la lumière de son fanal en pleine figure.

« Bridget Morgaz ! » s’écria-t-il.

Interdite, au premier abord, devant cet homme qui savait son nom, Bridget recula. Mais sa voix, qu’il n’avait pas eu la précaution de changer, venait de trahir l’identité de l’espion.

« Rip !… balbutia Bridget, Rip… ici !

— Oui, moi !…

— Rip… faisant ce métier…

— Eh bien, Bridget, reprit Rip à voix basse, ce que je fais ici, n’est-ce pas ce que vous y êtes venue faire ? Pourquoi la femme de Simon Morgaz serait-elle au camp des patriotes, si ce n’est pour communiquer…

— Misérable ! s’écria Bridget.

— Ah ! taisez-vous, dit Rip en la saisissant violemment par le bras. Taisez-vous, ou sinon… »

Et rien que d’une poussée, il pouvait la précipiter dans le courant du Niagara.

« Me tuer ? répondit Bridget en reculant de quelques pas. Ce ne sera pas, du moins, avant que j’aie appelé, avant que je vous aie dénoncé !… »

Puis :