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un autre sentiment ! Oui, Hodge, je le sais, vous aimez ma fille, et je sais aussi quelle estime elle a pour vous. Je mourrais plus tranquille si vous aviez le droit et le devoir de veiller sur elle, seule au monde après moi ! Si elle y consent, l’accepterez-vous pour femme ? »

Clary avait retiré sa main de la main de son père, et, regardant Vincent Hodge, elle attendit sa réponse.

« Mon cher Vaudreuil, répondit Vincent Hodge, vous m’offrez de réaliser le plus grand bonheur que j’aie pu rêver, celui de me rattacher à vous par ce lien. Oui, Clary, je vous aime, et depuis longtemps, et de toute mon âme. Avant de vous parler de mon amour, j’aurais voulu voir triompher notre cause. Mais les circonstances sont devenues graves, et les derniers événements ont modifié la situation des patriotes. Quelques années peut-être s’écouleront avant qu’ils puissent reprendre la lutte. Eh bien, ces années, voulez-vous les passer dans cette Amérique, qui est presque votre pays ? Voulez-vous me donner le droit de remplacer votre père près de vous, lui donner cette joie de m’appeler son fils ?… Dites, Clary, le voulez-vous ? »

La jeune fille se taisait. Vincent Hodge, baissant la tête devant ce silence, n’osait plus renouveler sa demande.

« Eh bien, mon enfant, reprit M. de Vaudreuil, tu m’as entendu ?… Tu as entendu ce qu’a dit Hodge !… Il dépend de toi que je puisse être son père, et, après toutes les douleurs de ma vie, que j’aie cette suprême consolation de te voir unie à un patriote digne de toi et qui t’aime ! »

Et alors Clary, d’une voix émue, fit cette réponse qui ne devait laisser aucun espoir.

« Mon père, dit-elle, j’ai pour vous le plus profond respect ! Hodge, j’ai pour vous plus qu’une profonde estime, une amitié de sœur ! Mais je ne puis être votre femme !

— Tu ne peux… Clary ? murmura M. de Vaudreuil, qui saisit le bras de sa fille.