Page:Verne - Famille-sans-nom, Hetzel, 1889.djvu/382

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme si vous étiez au chevet d’un mourant, et que vous eussiez à recueillir ses dernières paroles.

— Mon cher Vaudreuil, répondit vivement Vincent Hodge, vous exagérez…

— Et vous nous faites bien de la peine, mon père ! ajouta la jeune fille.

— Vous m’en feriez bien plus encore, reprit M. de Vaudreuil, si vous refusiez de me comprendre. »

Il les regarda longuement tous deux. Puis, s’adressant à Vincent Hodge :

« Mon ami, reprit-il, jusqu’ici, nous n’avons jamais parlé que de la cause à laquelle, vous et moi, avons voué toute notre existence. De ma part, rien n’était plus naturel, puisque je suis de sang français et que c’est pour le triomphe du Canada français que j’ai combattu. Vous, qui ne teniez pas à notre pays par les liens d’origine, vous n’avez pas hésité, cependant, à vous mettre au premier rang des patriotes…

— Les Américains et les Canadiens ne sont-ils pas frères ? répondit Vincent Hodge. Et qui sait si le Canada ne fera pas un jour partie de la confédération américaine !…

— Puisse ce jour venir ! répondit M. de Vaudreuil.

— Oui, mon père, il viendra, s’écria Clary, il viendra et vous le verrez…

— Non, mon enfant, je ne le verrai pas.

— Croyez-vous donc notre cause à jamais perdue, parce qu’elle a été vaincue cette fois ? demanda Vincent Hodge.

— Une cause qui repose sur la justice et le droit finit toujours par triompher, répondit M. de Vaudreuil. Le temps, qui me manquera, ne vous manquera pas pour voir ce triomphe. Oui, Hodge, vous verrez cela, et, en même temps, vous aurez vengé votre père… votre père mort sur l’échafaud par la trahison d’un Morgaz ! »

À ce nom, inopinément prononcé, Clary se sentit comme frappée au cœur. Craignit-elle de laisser voir la rougeur qui lui monta au visage ?