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qu’une une amnistie fut prononcée en faveur des condamnés politiques.

Que devint Simon Morgaz, après l’exécution ? Un ordre d’élargissement lui avait permis de quitter la prison de Montréal, et il se hâta de disparaître.

Mais une universelle réprobation allait peser sur son nom et, par suite, frapper de pauvres êtres, qui n’étaient pourtant pas responsables de cette trahison. Bridget Morgaz fut brutalement chassée du domicile qu’elle occupait à Montréal, chassée de la maison de Chambly, où elle s’était retirée pendant l’instruction de l’affaire. Elle dut reprendre ses deux fils qui, à leur tour, venaient d’être chassés du collège, comme leur père l’avait été du banc des accusés en cour de justice.

Où Simon Morgaz se décida-t-il à cacher son indigne existence, lorsque sa femme et ses enfants l’eurent rejoint, quelques jours après ? Ce fut dans une bourgade éloignée, d’abord, puis, bientôt, hors du district de Montréal.

Cependant Bridget n’avait pu croire au crime de son mari, ni Joann et Jean au crime de leur père. Tous quatre s’étaient retirés au village de Verchères, dans le comté de ce nom, sur la rive droite du Saint-Laurent. Ils espéraient que nul soupçon ne les dénoncerait à l’animadversion publique. Ces malheureux vécurent alors des dernières ressources qui leur restaient, car Simon Morgaz, quoiqu’il eût reçu le prix de sa trahison par l’entremise de la maison Rip, se gardait bien d’en rien distraire devant sa femme et ses fils. En leur présence, il protestait toujours de son innocence, il maudissait l’injustice humaine qui s’appesantissait sur sa famille et sur lui. Est-ce que, s’il avait trahi, il n’aurait pas eu à sa disposition des sommes considérables ? Est-ce qu’il en serait réduit à cette gêne excessive, en attendant la misère qui venait à grands pas ?

Bridget Morgaz se laissait aller à cette pensée que son mari n’était point coupable. Elle se réjouissait d’être dans ce dénuement, qui donnait tort à ses accusateurs. Les apparences avaient été contre lui… On ne lui avait pas permis de s’expliquer… Il était victime d’un hor-