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ments, s’alliaient aux réformistes, les autorités ne pourraient plus avoir raison du mouvement insurrectionnel.

Cependant, par suite des récents événements, les patriotes avaient dû passer de l’offensive à la défensive. Aussi, dans le cas où l’île Navy tomberait au pouvoir du colonel Mac Nab, la cause de l’indépendance serait-elle définitivement perdue.

Les chefs des bonnets bleus s’étaient occupés d’organiser la résistance par tous les moyens dont ils disposaient. Retranchements élevés sur les divers points de l’île, obstacles contre les tentatives de débarquement, armes, munitions et vivres, dont les arrivages s’opéraient par le village Schlosser, tout se faisait avec hâte, avec zèle. Ce qui coûtait le plus aux patriotes, c’était d’être réduis à attendre une attaque qu’ils ne pouvaient provoquer, n’étant point outillés pour traverser le bras du Niagara. Faute de matériel, comment auraient-ils pu se jeter sur le village de Chippewa, donner l’assaut au camp fortement établi sur la gauche de la rivière ?

On le voit, cette situation ne pouvait qu’empirer, si elle se prolongeait. En effet, les forces du colonel Mac Nab s’accroissaient, pendant que ses préparatifs pour le passage du Niagara étaient poussés activement. Relégués à la frontière, les derniers défenseurs de la cause franco-canadienne eussent vainement tenté d’entretenir des communications avec les populations des provinces de l’Ontario et de Québec. Dans ces conditions, comment les paroisses s’uniraient-elles pour courir aux armes, et quel chef prendrait la tête de la rébellion, maintenant que les colonnes royales parcouraient les comtés du Saint-Laurent ?

Un seul l’eût pu faire. Un seul aurait eu assez d’influence pour soulever les masses populaires : c’était Jean-Sans-Nom. Mais depuis l’échec de Saint-Charles, il avait disparu. Et toutes les probabilités étaient pour qu’il eût péri obscurément, puisqu’il n’avait pas reparu sur la frontière américaine. Quant à admettre qu’il fût tombé récemment entre les mains de la police, c’était impossible ; une telle capture n’aurait pas été tenue secrète par les autorités de Québec ou de Montréal.