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l’insurrection, comme une sorte de camp jeté entre le Canada et l’Amérique sur le cours de ce Niagara, limite naturelle des deux pays.

Ceux des chefs qui avaient échappé aux poursuites des loyalistes, après Saint-Denis, après Saint-Charles, avaient quitté le territoire canadien, et franchi la frontière pour se concentrer à l’île Navy. Si le sort des armes les trahissait, si les royaux parvenaient à traverser le bras gauche de la rivière et à les chasser de l’île, il leur resterait la ressource de se réfugier sur l’autre rive, où les sympathies ne leur manqueraient pas. Mais, sans doute, ils seraient en petit nombre, ceux qui demanderaient asile aux Américains, car cette suprême partie, ils allaient la jouer jusqu’à la mort.

Voici quelle était la situation respective des Franco-Canadiens et des troupes royales, envoyées de Québec, dans la première quinzaine de décembre.

Les réformistes, — et plus spécialement ceux qu’on appelait les « bonnets bleus » — occupaient l’île Navy que la rivière ne suffisait pas à défendre.

En effet, bien que le froid fût extrêmement vif, le Niagara demeurait navigable, grâce à la rapidité de son cours. Il s’ensuivait donc que les communications étaient possibles au moyen de bateaux, entre l’île Navy et les deux rives. Aussi, les Américains et les Canadiens ne cessaient-ils d’aller et venir du camp au village de Schlosser, situé sur la droite du Niagara. Fréquemment, des embarcations passaient ce bras, les unes transportant des munitions, des armes et des vivres, les autres, chargées de visiteurs accourus à Schlosser, en prévision d’une attaque prochaine des royaux.

Un citoyen des États-Unis, M. Wills, propriétaire du petit bateau à vapeur Caroline, l’utilisait même pour ce transport quotidien, moyennant une légère rétribution que les curieux versaient volontiers dans sa caisse.

Sur la rive opposée du Niagara, et par conséquent en face de