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« Vous, monsieur Jean… vous ?

— Oui, Lionel.

— Et l’abbé Joann ?…

— Dans ma cellule ! — Mais vite, à l’île Navy ! Il faut que dans quarante-huit heures nous soyons de retour avec nos compagnons au fort Frontenac ! »

Jean et Lionel s’élancèrent hors du bois, et prirent direction vers le sud, afin de redescendre la rive de l’Ontario jusqu’aux territoires du Niagara.

C’était le chemin le plus court, et aussi l’itinéraire qui offrait le moins de dangers. À cinq lieues de là, les fugitifs, ayant franchi la frontière américaine, seraient à l’abri de toute poursuite et pourraient rapidement atteindre l’île Navy.

Cependant, suivre cette direction avait l’inconvénient d’obliger Jean et Lionel à repasser devant le fort. Par cette horrible nuit, il est vrai, au milieu des épais tourbillons de neige, ils ne risquaient pas d’être aperçus des factionnaires, même au moment où tous deux traverseraient l’étroite grève. Certainement, si la surface de l’Ontario n’eût pas été encombrée par les amas de glaces que ces rudes hivers accumulent sur ses bords, si le lac avait été navigable, mieux eût valu s’adresser à quelque pêcheur qui aurait pu promptement conduire les fugitifs à l’embouchure du Niagara. Mais c’était impossible alors.

Jean et Lionel marchaient d’un pas aussi pressé que le permettait la tourmente. Ils n’étaient encore qu’à une faible distance des palissades du fort, lorsque le vif crépitement d’une fusillade déchira l’air.

Il n’y avait pas à s’y tromper : un feu de peloton venait d’éclater à l’intérieur de l’enceinte.

« Joann !… » s’écria Jean.

Et il tomba, comme si c’était lui qui venait d’être frappé par les balles des soldats de Frontenac.

Joann était mort pour son frère, mort pour son pays !

En effet, une demi-heure après le départ de Jean, le major Sinclair