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— Qu’ils le fassent sans moi, frère ! Le succès de notre cause ne tient pas à un homme !… Je ne te laisserai pas risquer ta vie pour me sauver…

— Et n’est-ce pas mon devoir, Jean ?… Tu sais quel est notre but ? A-t-il été atteint ?… Non !… Nous n’avons même pas su mourir pour réparer le mal… »

Les paroles de Joann remuaient profondément Jean ; mais il ne se rendait pas.

Joann reprit :

« Écoute-moi encore ! Tu crains pour moi, Jean, et, pourtant, qu’ai-je à craindre ? Demain, lorsqu’on me trouvera dans cette cellule, que peut-il m’arriver ? Rien !… Il n’y aura plus ici qu’un pauvre prêtre à la place d’un condamné, et que veux-tu qu’on lui fasse, si ce n’est de le laisser…

— Non !… non !… répondit Jean, qui se débattait contre lui-même et contre les instances de son frère.

— Assez discuté ! reprit Joann. Il faut que tu partes, et tu partiras ! Fais ton devoir comme je fais le mien ! Seul tu es assez populaire pour provoquer une révolte générale…

— Et si l’on veut te rendre responsable d’avoir aidé à ma fuite ?…

— On ne me condamnera pas sans jugement, répondit Joann, sans un ordre venu de Québec, ce qui demandera quelques jours !

— Quelques jours, frère ?

— Oui, et tu auras eu le temps de rejoindre tes compagnons à l’île Navy, de les ramener au fort Frontenac pour me délivrer…

— Il y a vingt lieues du fort Frontenac à l’île Navy, Joann ! Le temps me manquerait…

— Tu refuses, Jean ? Eh bien, jusqu’ici, j’ai supplié !… à présent j’ordonne ! Ce n’est plus un frère qui te parle, c’est un ministre de Dieu ! Si tu dois mourir, que ce soit en te battant pour notre cause, ou tu n’auras rien fait de la tâche qui t’incombe ! D’ailleurs, si tu refuses, je me fais connaître, et l’abbé Joann tombera sous les balles à côté de Jean-Sans-Nom !…