Page:Verne - Famille-sans-nom, Hetzel, 1889.djvu/355

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Que s’était-il donc passé ? Une nouvelle perquisition avait-elle amené l’arrestation de Bridget, de M. et Mlle de Vaudreuil ? Ou bien, ne voulant pas que son père restât un jour de plus sous le toit de la famille Morgaz, Clary l’avait-elle entraîné, si faible qu’il fût, malgré tant de dangers qui le menaçaient ? Et Bridget, elle aussi, s’était-elle enfuie de Saint-Charles, où la honte de son nom était devenue publique ?

Tout cela traversa comme un éclair dans l’esprit de Jean, et il allait apprendre à l’abbé Joann les événements qui avaient marqué sa dernière visite à Maison-Close, lorsque celui-ci, se penchant à son oreille, lui dit :

« Écoute-moi, Jean. Ce n’est pas un frère qui est ici, près de toi, c’est un prêtre qui vient remplir sa mission auprès d’un condamné. C’est à ce titre que le commandant du fort m’a permis de pénétrer dans ta cellule. Nous n’avons pas un moment à perdre !… Tu vas fuir à l’instant !

— À l’instant, Joann ?… Et comment ?

— En prenant mes habits, en sortant sous mon costume de prêtre. Il y a assez de ressemblance entre nous pour que personne ne puisse s’apercevoir de la substitution. D’ailleurs, il fait nuit, et c’est à peine si tu seras éclairé par la lumière d’un fanal en traversant le couloir et la cour intérieure. Lorsque nous aurons changé de vêtements, je me tiendrai au fond de la cellule, et j’appellerai. Le sergent viendra ouvrir, comme cela est convenu. Il a ordre de me reconduire à la poterne… C’est toi qu’il reconduira…

— Frère, répondit Jean, en prenant la main de Joann, as-tu pu croire que je consentirais à ce sacrifice ?

— Il le faut, Jean ! Ta présence est plus que jamais nécessaire au milieu des patriotes !

— Joann, n’ont-ils donc pas désespéré de la cause nationale après leur défaite ?

— Non ! Ils sont réunis au Niagara, dans l’île Navy, prêts à recommencer la lutte.