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fallait que Jean n’en fût pas instruit pour la réalisation du projet de Joann !

Évidemment, il n’y avait plus à compter sur une évasion préparée de longue main, ni sur une attaque du fort Frontenac. Le condamné ne pouvait échapper à la mort que par une fuite immédiate. Si, dans deux heures, il se trouvait encore dans sa cellule, il n’en sortirait que pour tomber sous les balles, en pleine nuit, au pied de la palissade.

Le plan de l’abbé Joann était-il réalisable ? Peut-être, si son frère acceptait de s’y conformer. En tout cas, c’était le seul moyen auquel il fût possible de recourir en ces circonstances. Mais, on le répète, il importait que Jean ignorât que le major Sinclair venait de recevoir l’ordre de procéder à l’exécution.

L’abbé Joann, guidé par le sergent, redescendit l’escalier. La cellule du prisonnier occupait un angle au rez-de-chaussée du blockhaus, à l’extrémité d’un couloir qui longeait la cour intérieure. Le sergent, éclairant cet obscur boyau avec son fanal, arriva devant une porte basse, fermée extérieurement par deux verrous.

Au moment où le sergent allait l’ouvrir, il s’approcha du jeune prêtre et lui dit à voix basse :

« Lorsque vous quitterez le prisonnier, vous savez que j’ai pour consigne de vous reconduire hors de l’enceinte ?

— Je le sais, répondit l’abbé Joann. Attendez dans ce couloir, et je vous préviendrai. »

La porte de la cellule fut ouverte.

À l’intérieur, au milieu d’une profonde obscurité, couché sur une sorte de lit de camp, Jean dormait. Il ne se réveilla pas au bruit que fit le sergent.

Celui-ci allait le toucher à l’épaule, lorsque, d’un geste, l’abbé Joann le pria de n’en rien faire.

Le sergent posa le fanal sur une petite table, sortit, et referma doucement la porte.

Les deux frères étaient seuls, l’un dormant, l’autre priant, agenouillé.