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vous apercevoir. Je vais tenter de m’introduire dans le fort et de communiquer avec mon frère. Si j’y parviens, nous discuterons ensemble les chances d’une évasion. Si toute évasion est impossible, nous examinerons les chances d’une attaque que les patriotes pourraient entreprendre, pour le cas où la garnison de Frontenac serait peu nombreuse. »

Il va de soi qu’une attaque de ce genre aurait exigé des préparatifs d’assez longue durée. Or, ce que l’abbé Joann ignorait, puisque le bruit ne s’en était pas répandu, c’est que le jugement avait été rendu deux jours avant, que l’ordre d’exécution pouvait arriver d’une heure à l’autre. Du reste, ce coup de main à tenter contre le fort Frontenac, le jeune prêtre ne le considérait que comme un moyen extrême. Ce qu’il voulait, c’était procurer à Jean les moyens de s’évader dans le plus court délai.

« Monsieur l’abbé, demanda Lionel, avez-vous quelque espoir de voir votre frère ?

— Lionel, pourrait-on refuser l’entrée du fort à un ministre qui vient offrir ses consolations à un prisonnier sous le coup d’une condamnation capitale ?

— Ce serait indigne !… Ce serait odieux !… répondit Lionel. Non ! On ne vous refusera pas !… Allez donc, monsieur l’abbé !… J’attendrai en cet endroit. »

L’abbé Joann serra la main du jeune clerc, et disparut en contournant la lisière du bois.

En moins d’un quart d’heure, il eut atteint la poterne du fort Frontenac.

Ce fort, élevé sur la rive de l’Ontario, se composait d’un blockhaus central, entouré de hautes palissades. Au pied de l’enceinte, du côté du lac, s’étendait une étroite grève dénudée, qui disparaissait alors sous la couche de neige et se confondait avec la surface du lac, glacée sur ses bords. De l’autre côté, s’agglomérait un village de quelques feux, habité principalement par une population de pêcheurs.