Page:Verne - Famille-sans-nom, Hetzel, 1889.djvu/342

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

circonvenu à ce sujet. Il ne se livra pas, il refusa même de répondre aux questions qui lui furent posées sur sa famille. Il fallut y renoncer, et, à la date du 10 décembre, le proscrit fut traduit devant ses juges.

Le procès ne pouvait donner matière à discussion. Jean avoua la part qu’il avait prise aux premières comme aux dernières révoltes. Il revendiqua contre l’Angleterre les droits du Canada, hautement, fièrement. Il se dressa en face des oppresseurs. Il parla comme si ses paroles avaient pu franchir l’enceinte du fort et se faire entendre du pays tout entier.

Lorsque la question relative à son origine, à la famille dont il sortait, lui fut adressée une dernière fois par le major Sinclair, il se contenta de répondre :

« Je suis Jean-Sans-Nom, Franco-Canadien de naissance, et cela doit vous suffire. Peu importe comme s’appelle l’homme qui va tomber sous les balles de vos soldats ! Avez-vous donc besoin d’un nom pour un cadavre ? »

Jean fut condamné à mort, et le major Sinclair donna ordre de le reconduire dans sa cellule. En même temps, pour se conformer aux prescriptions du gouverneur général, il expédia un exprès à Québec, afin de l’informer que l’état civil du prisonnier de Frontenac n’avait pu être établi. Dans ces conditions, fallait-il passer outre ou surseoir à l’exécution ?

Depuis près de deux semaines, d’ailleurs, lord Gosford faisait activement procéder à l’instruction des affaires relatives aux émeutes de Saint-Denis et de Saint-Charles. Quarante-cinq patriotes des plus marquants étaient détenus dans la prison de Montréal, onze dans la prison de Québec. La Cour de justice allait entrer en fonctions avec ses trois juges, son procureur général et le solliciteur qui représentait la Couronne. Au même titre que ce tribunal, devait fonctionner une Cour martiale, présidée par un major général, et composée de quinze des principaux officiers anglais qui avaient aidé à comprimer l’insurrection.

En attendant un jugement, entraînant l’application des peines les