Page:Verne - Famille-sans-nom, Hetzel, 1889.djvu/310

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Là où est aussi la vôtre, monsieur de Vaudreuil ! répliqua Jean. Écoutez-moi. Vous ne pouvez demeurer dans cette maison, où vous serez bientôt découvert. Cette nuit, un demi-mille avant d’arriver à Saint-Charles, j’ai été poursuivi par une escouade d’agents de police. Il n’est pas douteux que ces hommes m’aient reconnu, puisque vous les avez entendus prononcer mon nom. On fouillera toute la bourgade, et, lors même que je n’y serais plus, Maison-Close n’échappera pas aux perquisitions. C’est vous que les agents trouveront, monsieur de Vaudreuil, c’est vous qu’ils arracheront d’ici, et vous n’avez pas de grâce à espérer !

— Qu’importe, Jean, répondit M. de Vaudreuil, qu’importe si vous avez pu vous réunir à nos amis sur la frontière !

— Écoutez-moi, vous dis-je ! reprit Jean. Tout ce qu’il faudra faire pour notre cause, je le ferai. Maintenant, il s’agit de vous, monsieur de Vaudreuil. Peut-être n’est-il pas impossible que vous puissiez gagner les États-Unis. Une fois hors du comté de Saint-Hyacinthe, vous seriez en sûreté, et il ne resterait plus que quelques milles pour atteindre le territoire américain. Que vous n’ayez pas la force de vous traîner jusque-là, même si je suis là pour vous soutenir, soit ! Mais, étendu dans une charrette, couché sur une litière de paille comme vous l’êtes dans ce lit, n’êtes-vous pas en état de supporter ce voyage ? Eh bien, que ma mère se procure cette charrette, sous un prétexte quelconque, — celui de fuir après tant d’autres, de quitter Saint-Charles, — ou du moins, qu’elle l’essaye ! Et, la nuit prochaine, votre fille et vous, ma mère et moi, nous quitterons cette demeure, et nous pourrons être hors d’atteinte, avant que les massacreurs de Gore ne soient venus faire de Saint-Charles ce qu’ils ont fait de Saint-Denis, un monceau de ruines ! »

Le projet de Jean valait d’être pris en considération. À quelques milles au sud du comté, M. de Vaudreuil trouverait la sécurité que ne pouvait lui assurer Maison-Close, si les royaux envahissaient la bourgade et perquisitionnaient chez les habitants. Ce qui n’était que trop certain, c’est que Jean-Sans-Nom avait été signalé aux hommes