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stances, enfin, M. de Vaudreuil avait été emporté hors de la mêlée et conduit à Maison-Close.

Clary écoutait, le cœur oppressé, les yeux humides, se raidissant contre le désespoir. Le malheur, semblait-il, les rapprochait plus étroitement, Jean et elle. Tous deux sentaient combien ils étaient liés l’un à l’autre.

À plusieurs reprises, Jean se leva, profondément troublé, ayant horreur de lui-même, voulant fuir cette intimité que la situation actuelle rendait plus dangereuse encore. Après les quelques jours passés près de Clary à la villa Montcalm, il avait compté sur les événements qui se préparaient pour se donner tout entier à sa tâche. Et c’étaient ces événements qui avaient amené la jeune fille dans la maison de sa mère, en même temps qu’ils le contraignaient à s’y réfugier près d’elle !

Bridget eut bientôt reconnu la nature des sentiments qu’éprouvait son fils. L’effroi qu’elle en conçut fut égal à celui de Jean. Lui !… le fils de Simon Morgaz !… Mais l’énergique femme ne laissa rien voir de ses angoisses. Et pourtant, que de souffrances elle prévoyait pour l’avenir.

Le lendemain, M. de Vaudreuil fut instruit du départ des soldats de Witherall. Se sentant moins faible, il voulut interroger Jean au sujet des conséquences de la défaite de Saint-Charles. Qu’étaient devenus ses compagnons Vincent Hodge, Farran, Clerc, Sébastien Gramont, le fermier Harcher et ses cinq fils, qui avaient si vaillamment combattu dans la journée du 25 ?

Bridget, Clary et Jean vinrent s’asseoir près du lit de M. de Vaudreuil. À la demande qu’il fit, Jean répondit en le priant de ne point se fatiguer par des interrogations réitérées.

« Je vais vous apprendre ce que je sais de vos amis, dit-il. Après avoir lutté jusqu’à la dernière heure, ils n’ont été accablés que par le nombre. Un de mes braves compagnons de Chipogan, ce pauvre Rémy Harcher, a été tué presque au début de l’action, sans que j’aie pu le