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n’y a que moi qui puisse la ramener près de lui !… Je vais partir ! »

Jean dut se rendre aux instances de Bridget. Bien que la nuit fût très sombre, s’aventurer sur des chemins que surveillaient les patrouilles de Witherall, c’eût été risquer de ne pouvoir accomplir sa tâche. Il importait que Clary de Vaudreuil eût franchi le seuil de Maison-Close avant le lever du soleil. Qui sait même si la vie de son père se prolongerait jusque-là ! Lui, Jean-Sans-Nom, connu comme tel, maintenant qu’il avait combattu à visage découvert, pourrait-il arriver à Saint-Denis ? Pourrait-il en revenir avec Clary de Vaudreuil ? Ne serait-ce pas risquer de la jeter plus sûrement aux mains des royaux ?

Cette dernière raison le décida surtout, car il eût fait bon marché des dangers qui lui étaient personnels. Il donna à Bridget les instructions nécessaires pour qu’elle pût arriver près de la jeune fille chez le juge Froment. Il lui remit un billet, ne contenant que ces mots : « Confiez-vous à ma mère et suivez-la ! » qui devait inspirer toute confiance à Clary. Cela fait, Jean entr’ouvrit la porte, il la referma sur Bridget et vint s’asseoir près du lit de M. de Vaudreuil.

Il était un peu plus de dix heures, lorsque Bridget descendit rapidement la route, déserte alors. Le froid glacial des longues nuits canadiennes, enveloppant toute la campagne, rendait le sol propice à une marche rapide. Le premier quartier de la lune, qui allait disparaître à l’horizon, laissait quelques étoiles poindre entre les nuages très élevés.

Bridget marchait d’un bon pas à travers ces solitudes obscures, sans peur ni faiblesse. Pour accomplir un devoir, elle avait retrouvé son énergie d’autrefois, dont elle devait encore donner tant de preuves. Cette route de Saint-Charles à Saint-Denis, elle la connaissait, d’ailleurs, l’ayant si souvent parcourue pendant sa jeunesse. Ce qu’elle avait à redouter, c’était de se croiser avec quelque détachement de soldats.

Cela se produisit à deux ou trois reprises dans un rayon de deux