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— Clary de Vaudreuil chez moi », murmura Bridget.

Immobile, près du lit où gisait M. de Vaudreuil, elle regardait ce patriote dont le sang coulait pour la cause de l’indépendance, celui qui, douze ans avant, avait failli payer de sa tête la trahison de Simon Morgaz. S’il apprenait quelle maison lui avait donné asile, quelles mains l’avaient disputé à la mort, l’horreur ne l’emporterait-elle pas, et, dût-il se traîner sur ses genoux, ne se hâterait-il pas de fuir le contact infamant de cette famille ?

Dans un gémissement prolongé, M. de Vaudreuil laissa encore échapper le nom de Clary.

« Il peut mourir, dit Jean, et il ne faut pas qu’il meure sans avoir revu sa fille…

— J’irai la chercher, répondit Bridget.

— Non !… Ce sera moi, ma mère !

— Toi que l’on poursuit dans le comté ?… Veux-tu donc succomber avant d’avoir accompli ton œuvre ?… Non, Jean, tu n’as pas encore le droit de mourir ! J’irai chercher Clary de Vaudreuil !

— Ma mère, Clary de Vaudreuil refusera de te suivre !

— Elle ne refusera pas, quand elle saura que son père est mourant et qu’il l’appelle ! — Où Mlle de Vaudreuil est-elle, à Saint-Denis ?

— Dans la maison du juge Forment… Mais c’est trop loin, ma mère !… Tu n’auras pas la force !… Pour aller et revenir, il y a douze milles !… Moi, en partant tout de suite, j’aurai le temps d’arriver à Saint-Denis et d’en ramener Clary de Vaudreuil avant le jour ! Personne ne me verra sortir ! Personne ne me verra rentrer à Maison-Close…

— Personne ?… répondit Bridget. Et les soldats qui surveillent les routes, comment les éviteras-tu ?… Si tu tombes entre leurs mains, comment pourras-tu leur échapper ?… Même en admettant qu’ils ne te reconnaissent pas, est-ce qu’ils te laisseront libre ? Tandis que moi, une vieille femme… pourquoi m’arrêteraient-ils ? Assez discuté, Jean ! M. de Vaudreuil veut voir sa fille !… Il faut qu’il la voie, et il