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Enfin, vers huit heures, un apaisement sembla se produire à Saint-Charles. Ou les habitants en avaient été chassés, ou, après le départ de la colonne de Witherall, ils s’étaient réfugiés dans les quelques maisons sauvées de l’incendie. Maintenant les rues étaient désertes. Il fallait en profiter.

Jean s’avança jusqu’à la porte de l’église. Puis, l’entr’ouvrant, il jeta un rapide regard sur la petite place et descendit les marches du porche.

Personne sur cette place, à demi éclairée par le reflet des flammes lointaines.

Jean revint près de M. de Vaudreuil, qui était étendu près d’un pilier. Il le souleva, il le prit entre ses bras. Même pour un homme aussi vigoureux que Jean, c’était un assez lourd fardeau que ce corps, qu’il fallait transporter jusqu’au coude de la grande route, à l’endroit où s’élevait Maison-Close.

Jean traversa la place et se glissa le long de la rue voisine.

Il était temps. À peine Jean avait-il fait une vingtaine de pas, que des clameurs retentissaient, en même temps que le sol résonnait sous le pied des chevaux.

C’était le détachement de cavalerie qui rentrait à Saint-Charles. Avant de le lancer contre les fuyards, le lieutenant-colonel Witherall lui avait donné ordre de regagner la bourgade pour y passer la nuit, où il devait camper jusqu’au jour, et c’était justement l’église même qu’il avait choisie pour bivaquer.

Un instant après, les cavaliers vinrent s’installer sous la nef, non sans avoir pris certaines précautions contre un retour offensif. Et non seulement le détachement s’établit à l’intérieur de l’église, mais les chevaux y furent introduits. Inutile d’insister sur les profanations auxquelles se livra cette soldatesque, ivre de sang et de gin, dans un édifice consacré au culte catholique.

Jean continuait à redescendre la rue abandonnée, faisant halte parfois, afin de reprendre haleine. Et toujours cette crainte, à mesure qu’il se rapprochait de Maison-Close, de n’en plus trouver que les ruines !