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William Clerc, accompagné d’André Farran qui n’avait été que légèrement blessé, dut se jeter à travers la campagne. Ce ne fut qu’au prix de mille dangers que tous deux parvinrent à franchir la frontière, ignorant absolument quel était le sort de M. de Vaudreuil et de Vincent Hodge.

Et qu’allait devenir Clary de Vaudreuil dans cette maison de Saint-Denis, où elle attendait les nouvelles ? N’avait-elle pas tout à craindre des représailles des loyalistes, si elle ne réussissait à s’enfuir ?

C’est à cela que pensait Jean, blotti au fond de la petite église. Si M. de Vaudreuil n’avait pas repris connaissance, son cœur battait encore, mais faiblement. Avec des soins immédiats, peut-être aurait-il été possible de le sauver ? Où et comment lui donner ces soins ?

Il n’y avait pas à hésiter. Il fallait, dès cette nuit, le transporter à Maison-Close.

Maison-Close n’était pas éloignée, — quelques centaines de pas à peine, en descendant la principale rue de la bourgade. Au milieu de l’obscurité, dès que les soldats de Witherall auraient quitté Saint-Charles, ou quand ils se seraient cantonnés pour passer la nuit, Jean prendrait le blessé et irait le déposer dans la maison de sa mère.

Sa mère !… M. de Vaudreuil chez Bridget… chez la femme de Simon Morgaz !… Et si jamais il apprenait sous quel toit Jean l’avait transporté !…

Eh bien ! est-ce que lui, le fils de Simon Morgaz, ne s’était pas fait l’hôte de la villa Montcalm ?… Est-ce qu’il n’était pas devenu le compagnon d’armes de M. de Vaudreuil ?… Est-ce qu’il ne venait pas de l’arracher à la mort ?… Est-ce que ce serait pire pour M. de Vaudreuil qu’il dût la vie aux soins d’une Bridget Morgaz ?

Il ne l’apprendrait pas, d’ailleurs. Rien ne trahirait l’incognito sous lequel se cachait la misérable famille.

Le projet de Jean était arrêté, il n’avait qu’à attendre le moment de le mettre à exécution, — quelques heures au plus.