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détourné le coup que lui portait le servant de l’une des pièces.

« Merci, monsieur Hodge ! lui dit Jean. Mais peut-être avez-vous eu tort !… Ce serait fini maintenant ! »

Et, en effet, il aurait mieux valu que le fils de Simon Morgaz fût tombé à cette place, puisque la cause de l’indépendance allait succomber sur le champ de bataille de Saint-Charles !

Déjà Jean-Sans-Nom s’était rejeté dans la mêlée, lorsqu’il aperçut au pied de la colline M. de Vaudreuil, gisant sur le sol, baigné dans son sang. M. de Vaudreuil avait été renversé d’un coup de sabre, tandis que les cavaliers de Witherall chargeaient aux abords du camp, afin d’achever la dispersion des insurgés.

En cet instant, ce fut comme une voix que Jean entendit au dedans de lui-même, une voix qui lui criait :

« Sauvez mon père. »

À la faveur des fumées de la mousqueterie, Jean rampa jusqu’à M. de Vaudreuil sans connaissance, mort peut-être. Il le prit entre ses bras, il l’emporta le long des retranchements ; puis, tandis que les cavaliers poursuivaient les rebelles avec un acharnement inouï, il parvint à gagner le haut quartier de Saint-Charles, au milieu des maisons incendiées, et se réfugia sous le porche de l’église.

Il était alors cinq heures du soir. Le ciel eût été sombre déjà, si d’éclatantes flammes ne se fussent dressées au-dessus des ruines de la bourgade.

L’insurrection, victorieuse à Saint-Denis, venait d’être vaincue à Saint-Charles. Et l’on ne pouvait pas même dire que chacun des deux partis fussent manche à manche ! Non ! Cette défaite devait avoir de pires résultats pour la cause nationale que la victoire n’avait eu d’avantages réels. D’ailleurs, venue après, elle annihilait toutes les espérances que les réformistes avaient pu concevoir.

Ceux des combattants qui n’avaient pas succombé, furent contraints de s’enfuir, avant d’avoir reçu un ordre de ralliement.