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« C’est ici, dit-il, que se décidera le sort du pays ! C’est ici qu’il faut se défendre…

— Jusqu’à la mort ! » répondit Jean-Sans-Nom.

En ce moment, les premières détonations retentirent aux abords du camp, et l’on put comprendre que, dès le début de l’affaire, les royaux allaient manœuvrer tout à leur avantage.

En effet, s’exposer au feu des insurgés, postés le long des abatis, et qui lui avaient déjà tué quelques hommes, c’eût été de la part du lieutenant-colonel Witherall faire preuve de maladresse. Disposant de trois à quatre cents fantassins et cavaliers, de deux pièces d’artillerie, il lui était aisé, après avoir dominé le camp de Saint-Charles, d’en écraser les défenseurs. Aussi donna-t-il l’ordre de tourner les retranchements et d’occuper la colline située en arrière.

Ce mouvement s’exécuta sans difficulté. Les deux bouches à feu furent hissées au sommet, placées en batterie, et le combat s’engagea avec une égale énergie de part et d’autre. Et cela se fit même si rapidement que Brown, occupé à rallier les fuyards qui se répandaient sur la campagne, ne put rentrer au camp et fut entraîné jusqu’à Saint-Denis.

Les patriotes, quoique insuffisamment abrités, se défendaient avec un courage admirable. Marchessault, M. de Vaudreuil, Vincent Hodge, Clerc, Farran, Gramont, Thomas Harcher et ses fils, tous ceux qui étaient armés de fusils, répondaient coup pour coup au feu des assiégeants. Jean-Sans-Nom les excitait rien que par sa présence. Il allait de l’un à l’autre. Mais ce qu’il lui aurait fallu, c’était le champ de bataille, c’était la mêlée, pour y entraîner les plus braves et saisir l’ennemi corps à corps. Son élan se paralysait dans cette lutte à distance.

Elle dura, néanmoins, tant que les retranchements tinrent bon. Si les défenseurs du camp avaient abattu plus d’un habit-rouge, ils n’étaient pas sans avoir éprouvé des pertes très sensibles. Une douzaine des leurs, atteints par les balles ou les boulets, étaient tombés, les uns blessés, les autres morts. Parmi ceux-ci, il y avait Rémy