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usage des armes dont il avait pourvu les centres réformistes lors de sa dernière période de pêche sur le Saint-Laurent. Peut-être, dès le début, les loyalistes seraient-ils accablés sous le nombre, — ce qui ne laisserait aux autorités d’autre alternative que de se soumettre ? Mais l’abbé Joann l’avait détourné de ce dessein, lui montrant qu’un premier échec serait désastreux, qu’il entraînerait l’anéantissement de toutes les chances à venir. Et, en effet, les troupes, réunies autour de Montréal, étaient prêtes à se porter sur n’importe quel point des comtés limitrophes où la rébellion éclaterait.

Il convenait donc d’agir avec une extrême circonspection, et mieux valait attendre que l’exaspération publique fût portée au comble par les mesures tyranniques du Parlement et les exactions des agents de la Couronne.

De là ces retards, qui se prolongeaient indéfiniment, à l’extrême impatience des Fils de la Liberté.

Lorsque Jean s’était enfui de Chipogan, il comptait bien que le mois d’octobre ne s’écoulerait pas avant qu’une insurrection générale eût soulevé le Canada.

Or, au 23 octobre, rien n’indiquait encore que ce mouvement fût prochain, lorsque l’occasion, prévue par Jean, provoqua une première manifestation.

Sur le rapport des trois commissaires, nouvellement désignés par le gouvernement anglais, la Chambre des lords et la Chambre des communes s’étaient hâtées d’adopter les propositions suivantes : emploi des deniers publics sans l’autorisation de l’assemblée canadienne, mise en accusation des principaux députés réformistes, modification de la constitution en exigeant de l’électeur français un cens double du cens de l’électeur anglais, irresponsabilité des ministres devant les Chambres.

Ces mesures injustes et violentes troublèrent le pays tout entier. Il y eut révolte des sentiments patriotiques de la race franco-canadienne. C’était là plus que les citoyens n’en pouvaient supporter,