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frontière américaine, il s’était réfugié dans un des villages limitrophes, impatient de voir la tournure que prendraient les événements. Saint-Albans, sur les bords du lac Champlain, lui offrait toute sécurité. Les agents de Gilbert Argall ne pouvaient l’y atteindre.

Si le mouvement national, préparé par Jean-Sans-Nom, réussissait, si le Canada, recouvrant son autonomie, échappait à l’oppression anglo-saxonne, Thomas Harcher reviendrait tranquillement à Chipogan. Si ce mouvement échouait, au contraire, il y avait lieu d’espérer que l’oubli se ferait avec le temps. Sans doute, une amnistie viendrait couvrir les actes du passé, et les choses reprendraient peu à peu leur ancien cours. En tout cas, une maîtresse femme était restée à la ferme.

Pendant la saison d’hiver, qui suspendait les travaux agricoles, les intérêts de M. de Vaudreuil n’auraient point à souffrir sous la direction de Catherine Harcher.

De leur côté, Pierre et ses frères ne laisseraient pas d’exercer le métier de chasseurs sur les territoires voisins de la colonie canadienne. Dans six mois, très probablement, rien ne les empêcherait de recommencer leur campagne de pêche entre les deux rives du Saint-Laurent.

Thomas Harcher n’avait eu que trop raison de se mettre en lieu sûr. Dans les vingt-quatre heures, Chipogan avait été occupé militairement par un détachement de réguliers, venus de Montréal. Catherine Harcher, n’ayant plus rien à craindre pour son mari et ses fils aînés plus directement compromis dans l’affaire, fit bonne contenance. En somme, la police, maintenue par le gouverneur général dans un habile système d’indulgence, n’exerça aucune représaille contre elle. L’énergique femme sut faire respecter des garnisaires elle et les siens.

Il en fut de la villa Montcalm comme de la ferme de Chipogan. Les autorités la surveillèrent, sans l’occuper toutefois. Aussi, M. de Vaudreuil, convaincu d’avoir pris fait et cause pour le jeune proscrit, s’était-il bien gardé de retourner dans son habitation de l’île