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travers les provinces canadiennes. L’opinion publique n’aurait pu trouver une occasion plus favorable pour se manifester. Il ne s’agissait pas uniquement d’une collision entre la police et les « habitants » des campagnes, — collision dans laquelle les agents de l’autorité et les volontaires royaux avaient eu le dessous. Ce qui était plus grave, c’était la circonstance qui avait motivé l’envoi d’une escouade à Chipogan. Jean-Sans-Nom venait de reparaître dans le pays. Le ministre Gilbert Argall, avisé de sa présence à la ferme, avait voulu l’y faire arrêter. L’arrestation ayant échoué, le personnage dans lequel s’incarnait la revendication nationale était libre, et l’on pressentait qu’il saurait prochainement faire usage de sa liberté.

Où Jean-Sans-Nom s’était-il réfugié, après avoir quitté Chipogan ? Les plus actives, les plus minutieuses, les plus sévères recherches n’avaient pu révéler le lieu de sa retraite. Rip, cependant, bien que très désappointé de l’insuccès de ses démarches, ne désespérait pas de prendre sa revanche. En dehors de l’intérêt personnel, l’honneur de sa maison était en jeu. Il jouerait la partie jusqu’à ce qu’il l’eût gagnée. Le gouvernement savait à quoi s’en tenir là-dessus. Il ne lui avait ni retiré sa confiance ni épargné ses encouragements. Maintenant, Rip connaissait le jeune patriote pour s’être trouvé face à face avec lui. Ce ne serait plus en aveugle qu’il se mettrait à sa poursuite.

Depuis le coup manqué de Chipogan, quinze jours — du 7 au 23 — s’étaient écoulés. La dernière semaine d’octobre venait de s’achever, et Rip, quoi qu’il eût fait, n’avait encore obtenu aucun résultat.

Voici, d’ailleurs, ce qui s’était passé, après les incidents dont la ferme avait été le théâtre.

Dès le lendemain, Thomas Harcher s’était vu dans l’obligation d’abandonner Chipogan. Après avoir autant que possible mis ordre à ses affaires les plus pressantes, il s’était jeté avec ses fils aînés à travers les forêts du comté de Laprairie ; après avoir franchi la