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— Quel est cet homme ?

— Voilà ce qu’on n’a jamais pu découvrir, dit sir John Colborne. N’est-ce pas, mon cher Argall ?

— C’est vrai, général ! On ne sait quel est ce personnage, ni d’où il vient, ni où il va. C’est ainsi qu’il a figuré, presque invisiblement, dans les dernières insurrections. Aussi n’est-il pas douteux que les Papineau, les Viger, les Lacoste, les Vaudreuil, les Farran, les Gramont, tous les chefs enfin, comptent sur son intervention au moment voulu. Ce Jean-Sans-Nom est passé à l’état d’être quasi-surnaturel dans les districts du Saint-Laurent, en amont de Montréal, comme en aval de Québec. Si l’on en croit la légende, il a tout ce qu’il faut pour entraîner les villes et les campagnes, une audace extraordinaire, un courage à toute épreuve. Et puis, je vous l’ai dit, c’est le mystère, c’est l’inconnu !

— Vous pensez qu’il est venu dernièrement à Québec ? demanda lord Gosford.

— Les rapports de police, du moins, permettent de le supposer, répondit Gilbert Argall. Aussi ai-je mis en campagne un homme des plus actifs et des plus fins, ce Rip, qui a déployé tant d’intelligence dans l’affaire de Simon Morgaz.

— Simon Morgaz, dit sir John Colborne, celui qui, en 1825, a si opportunément livré, à prix d’or, ses complices de la conspiration de Chambly ?…

— Lui-même !

— Et sait-on où il est ?

— On ne sait qu’une chose, répondit Gilbert Argall, c’est que, repoussé de tous ceux de sa race, de tous ces Franco-Canadiens qu’il avait trahis, il a disparu. Peut-être a-t-il quitté le nouveau continent ?… Peut-être est-il mort ?…

— Eh bien, le moyen qui a réussi près de Simon Morgaz, demanda sir John Colborne, ne pourrait-il réussir de nouveau près de l’un des chefs réformistes ?

— N’ayez pas cette idée, général ! répondit lord Gosford. De tels