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— que l’ordre d’hérédité pût l’appeler à la tête d’une peuplade indienne. Et, alors, au milieu du silence que nul n’avait osé interrompre, l’Indien reprit en ces termes :

« À quelle époque mon frère voudra-t-il venir s’asseoir au feu du Grand Conseil de sa tribu, revêtu du manteau traditionnel de ses ancêtres ? »

Le porte-parole de la députation ne mettait pas même en doute l’acceptation du notaire de Montréal, et il lui présentait le manteau mahogannien.

Et, comme maître Nick, absolument interloqué, ne se décidait pas à répondre, un cri retentit, auquel cinquante autres se joignirent à la fois :

« Honneur !… Honneur à Nicolas Sagamore ! »

C’était Lionel qui l’avait jeté, ce cri d’enthousiasme ! S’il était fier de la haute fortune qui arrivait à son patron, s’il pensait que l’éclat en rejaillirait sur les clercs de son étude et plus spécialement sur lui-même, s’il se réjouissait à l’idée qu’il marcherait désormais aux côtés du grand chef des Mahogannis, ce serait perdre son temps que d’y insister.

Cependant M. de Vaudreuil et sa fille ne pouvaient s’empêcher de sourire, en voyant la mine stupéfaite de maître Nick. Le pauvre homme ! Tandis que le fermier, sa femme, ses enfants, ses amis, lui adressaient leurs sincères félicitations, il ne savait auquel entendre.

Alors l’Indien posa de nouveau sa question, qui n’admettait pas d’échappatoire :

« Nicolas Sagamore consent-il à suivre ses frères au wigwam de Walhatta ? »

Maître Nick restait bouche béante. Bien entendu, il ne consentirait jamais à se démettre de ses fonctions, pour aller régner sur une tribu huronne. Mais, d’autre part, il ne voulait point blesser par un refus les Indiens de sa race, qui l’appelaient par droit de succession à un tel honneur.