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— Jamais ?… Si les Franco-Canadiens que vous aurez rendus libres vous demandent de rester à leur tête…

— Je refuserai.

— Vous ne le pourrez pas !…

— Je refuserai, vous dis-je ! » répéta Jean d’un ton si affirmatif que Clary en demeura interdite. Et alors, plus doucement, il reprit :

« Clary de Vaudreuil, nous ne pouvons prévoir l’avenir. J’espère, pourtant, que les événements tourneront à l’avantage de notre cause. Mais, ce qui vaudrait mieux pour moi, ce serait de succomber en la défendant…

— Succomber !… vous !… s’écria la jeune fille, dont les yeux se noyèrent de larmes. Succomber, Jean !… Et vos amis ?…

— Des amis !… à moi… des amis ! » répondit Jean.

Et son attitude était bien celle d’un misérable que toute une vie d’opprobre aurait mis au ban de l’humanité.

« Jean, reprit Mlle de Vaudreuil, vous avez affreusement souffert autrefois, et vous souffrez toujours ! Et, ce qui rend votre situation plus douloureuse, c’est de ne pouvoir… non !… de ne vouloir vous confier à personne… pas même à moi, qui prendrais si volontiers une part de vos peines !… Eh bien… je saurai attendre, et je ne vous demande rien que de croire à mon amitié…

— Votre amitié !… » murmura Jean.

Et il se recula de quelques pas, comme si rien que son amitié eût pu flétrir cette pure jeune fille ! Et pourtant, les seules consolations qui l’eussent aidé à supporter cette horrible existence, n’était-ce pas celles qu’il aurait trouvées dans l’intimité de Clary de Vaudreuil ?

Pendant le temps passé à la villa Montcalm, son cœur s’était senti pénétré de cette ardente sympathie qu’il lui inspirait et qu’il ressentait pour elle… Mais non ! C’était impossible… Le malheureux !… Si jamais Clary apprenait de qui il était le fils, elle le repousserait avec horreur !… Un Morgaz !… Aussi, comme il l’avait dit à sa mère, au cas où Joann et lui survivraient à cette dernière tentative, ils disparaîtraient !… Oui !…