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Laprairie, et reviendrait en même temps que le notaire pour la signature du contrat.

Mlle de Vaudreuil et Jean l’accompagnèrent sur cette jolie route de Chipogan, ombragée de grands ormes, qui côtoie un petit rio d’eaux courantes, tributaire du Saint-Laurent. Ils avaient pris les devants avec lui, et ne furent rejoints par le buggie qu’à une demi-lieue de la ferme.

M. de Vaudreuil s’installa à côté de Pierre Harcher, et il eut bientôt disparu au trot du rapide attelage.

Jean et Clary revinrent alors sur leurs pas, en remontant à travers les bois ombreux et tranquilles, massés à la lisière du rio. Rien n’y gênait leur marche, ni les buissons, ni les branches, qui, dans les forêts canadiennes, se relèvent au lieu de pendre vers le sol. De temps à autre, la hache d’un lumberman retentissait, en rebondissant sur de vieux troncs d’arbres. Quelques coups de fusil se faisaient aussi entendre au lointain, et parfois un couple de daims apparaissait entre les halliers qu’ils franchissaient d’un bond. Mais chasseurs et bûcherons ne sortaient point de l’épaisseur des futaies, et c’était au milieu d’une profonde solitude que Mlle de Vaudreuil et Jean gagnaient lentement du côté de la ferme.

Tous deux allaient bientôt se séparer !… Où pourraient-ils se revoir, et en quel lieu ? Leur cœur se serrait douloureusement à la pensée de ce prochain éloignement.

« Ne comptez-vous pas revenir bientôt à la villa Montcalm ? demanda Clary.

— La maison de M. de Vaudreuil doit être particulièrement surveillée, répondit Jean, et, dans son intérêt même, mieux vaut qu’on ignore nos relations.

— Et pourtant, vous ne pouvez songer à chercher un asile à Montréal ?

— Non, bien qu’il soit peut-être plus aisé d’échapper aux poursuites au milieu d’une grande ville. Je serais plus en sûreté dans l’habitation de M. Vincent Hodge, de M. Farran ou de M. Clerc qu’à la villa Montcalm…