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contre les partisans de la cause nationale. D’ailleurs, sir John Colborne n’était point pour les demi-mesures, comme il le prouva plus tard, lorsqu’il succéda à lord Gosford dans le gouvernement de la colonie. Quand au colonel Gore, vieux militaire, décoré de Waterloo, il fallait, à l’entendre, agir militairement et sans retard.

Le 7 mai de la présente année, une assemblée avait réuni à Saint-Ours, petite bourgade du comté de Richelieu, les chefs réformistes. Là furent prises des résolutions, qui devinrent le programme politique de l’opposition franco-canadienne.

Entre autres, il convient de citer celle-ci :

« Le Canada, comme l’Irlande, doit se rallier autour d’un homme, doué d’une haine de l’oppression et d’un amour de sa patrie, que rien, ni promesses, ni menaces, ne pourront jamais ébranler. »

Cet homme, c’était le député Papineau, dont le sentiment populaire faisait à juste titre un O’Connell.

En même temps, l’assemblée décidait « de s’abstenir autant que possible de consommer les articles importés et de ne faire usage que des produits fabriqués dans le pays, afin de priver le gouvernement des revenus provenant des droits imposés sur les marchandises étrangères. »

À ces déclarations, lord Gosford dut répondre, le 15 juin, par une proclamation défendant toute réunion séditieuse, et ordonnant aux magistrats et officiers de la milice de les dissoudre.

La police manœuvrait donc avec une insistance qui ne se lassait plus, employant ses agents les plus déliés, ne reculant même pas à provoquer des trahisons — ainsi que cela s’était fait déjà — par l’appât de sommes considérables.

Mais, bien que Papineau fût l’homme en vue, il en était un autre qui travaillait dans l’ombre et si mystérieusement que les principaux réformistes ne l’avaient jamais aperçu qu’en de rares circonstances. Autour de ce personnage s’était créée une véritable légende, qui lui donnait une influence extraordinaire sur l’esprit des masses : Jean-Sans-Nom — on ne le connaissait que sous cette appellation énigmatique.