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avaient de la besogne. Deux ou trois des plus âgés chassaient dans les forêts voisines de Chipogan, et n’étaient point gênés de fournir le gibier nécessaire à l’immense table de famille. Sur ces territoires, en effet, abondent toujours les orignaux, les caribous — sortes de rennes de grande taille — les bisons, les daims, les chevreuils, les élans, sans parler de la diversité du petit gibier de poil ou de plume, plongeons, oies sauvages, canards, bécasses, bécassines, perdrix, cailles et pluviers.

Quant à Pierre Harcher et à ses frères, Rémy, Michel, Tony et Jacques, à l’époque où le froid les obligeait d’abandonner les eaux du Saint-Laurent, ils venaient hiverner à la ferme et se faisaient chasseurs de fourrures. On les citait parmi les plus intrépides squatters, les plus infatigables coureurs des bois, et ils approvisionnaient de peaux plus ou moins précieuses les marchés de Montréal et de Québec. En ce temps, les ours noirs, les lynx, les chats sauvages, les martres, les carcajous, les visons, les renards, les castors, les hermines, les loutres, les rats musqués, n’avaient pas encore émigré vers les contrées du nord, et c’était un bon commerce celui de ces pelleteries, alors qu’il n’était point nécessaire d’aller chercher fortune jusque sur les lointaines rives de la baie d’Hudson.

On le comprend, pour loger cette famille de parents, d’enfants et de petits-enfants, ce n’eût pas été trop d’une caserne. Aussi, était-ce bien une véritable caserne, cette bâtisse qui dominait de ses deux étages les communs de la ferme de Chipogan. En outre, il avait fallu garder quelques chambres aux hôtes que Thomas Harcher recevait passagèrement, des amis du comté, des fermiers du voisinage, des « voyageurs », c’est-à-dire ces mariniers qui dirigent les trains de bois par les affluents pour les conduire au grand fleuve. Enfin, il y avait l’appartement réservé à M. de Vaudreuil et à sa fille, lorsqu’ils venaient rendre visite à la famille du fermier.

Et, précisément, M. et Mlle de Vaudreuil venaient d’arriver ce jour-là — 5 octobre. Ce n’était pas seulement des rapports de maître à tenancier qui unissaient M. de Vaudreuil à Thomas Harcher et à tous les siens, c’était une affection réciproque, amitié d’une part, dévoue-