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— D’un nombre malheureusement trop restreint, répondit le général, et encore devrai-je dégarnir le comté d’une partie des troupes qui l’occupent.

— Précisez, commandant.

— Je ne pourrai mettre en avant que quatre bataillons et sept compagnies d’infanterie, car il est impossible de rien prendre sur les garnisons des citadelles de Québec et de Montréal.

— Qu’avez-vous en artillerie ?…

— Trois ou quatre pièces de campagne.

— Et en cavalerie.

— Un piquet seulement.

— S’il faut disperser cet effectif dans les comtés limitrophes, fit observer le colonel Gore, il sera insuffisant ! Peut-être est-il regrettable, monsieur le gouverneur, que Votre Seigneurie ait dissous les associations constitutionnelles, formées par les loyalistes ! Nous aurions là plusieurs centaines de carabiniers volontaires, dont le secours ne serait point à dédaigner.

— Je ne pouvais laisser ces associations s’organiser, répondit lord Gosford. Leur contact avec la population aurait engendré des collisions quotidiennes. Évitons tout ce qui pourrait provoquer une explosion. Nous sommes dans une soute à poudre, et il n’y faut marcher qu’avec des chaussons de lisière ! »

Le gouverneur général n’exagérait pas. C’était un homme de grand sens et d’esprit conciliant. Dès son arrivée dans la colonie, il avait montré beaucoup de prévenances envers les colons français, ayant — ainsi que l’a fait observer l’historien Garneau — « une pointe de gaieté irlandaise qui s’accommodait bien de la gaieté canadienne. » Si la rébellion n’avait pas éclaté encore, on le devait à la circonspection, à la douceur, à l’esprit de justice que lord Gosford apportait dans ses rapports avec ses administrés. Par nature comme par raison, il répugnait aux mesures violentes.

« La force, répétait-il, comprime, mais ne réprime pas. En Angleterre, on oublie trop que le Canada est voisin des États-Unis, et que